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L’ Hydroplum II
dimanche 11 septembre 2005, par

L’ Hydroplum II

C’est immédiatement après le Salon du BOURGET que ma décision fut prise : la formule de l’Hydroplum était excellente, mais pour en faire un succès commercial il fallait en faire une version biplace et un produit de série, c’est à dire construit " en plastique ", dans des moules, pour en faire tomber le prix et pour permettre la vente en kit.

Les études furent lancées immédiatement, et profitaient évidemment des enseignements considérables acquis au cours de la mise au point et de l’utilisation de l’Hydroplum I durant 2 ans, concernant les caractéristiques en vol, au sol et en mer, la transportabilité, le pliage, la résistance à la corrosion, e t c ...Le projet, alors appelé Hydroplum II, correspondait bien entendu au règlement U.L.M. de l’époque, c’est à dire 175 kg maxi à vide , et 10 kg/m2 de charge alaire, soit 17 ,5 m2 de surface, empennage compris. C’était très peu, en poids, pour un biplace, surtout avec une aussi grande surface et pour un amphibie ! mais ce n’est pas moi qui avais pondu cette norme aberrante, d’ailleurs constamment battue en brèche par la suite, et il fallait bien faire avec.

Concernant la masse à vide, pas d’autre solution que de serrer le devis de poids au maximum, ce qui imposait une grande rigueur de conception et de construction. Heureusement, ROTAX sortait maintenant un excellent petit bicylindre léger, 2 Temps de 65 CV, le 532 , dont la descendance tient toujours une grande part du marché aujourd’hui . Pour ce qui est de la surface alaire, cela me paraissait totalement incompatible avec la transportabilité que je souhaitais : c’est pourquoi je résolus de diviser mon aile en 4 parties au lieu de 2 , donc de faire un biplan, ce qui avait aussi l’avantage de constituer une structure légère et solide à la fois, au prix d’une construction un peu plus complexe il est vrai : ces critères, qui commandaient les structures de 1914, restaient valables pour mon projet de 1985. Ces idées étaient d’ailleurs partagées par mon camarade Bernard d’Otreppe, qui concevait à l’époque ce qui allait devenir le MISTRAL.( bon nombre d’idées furent échangées à l’époque avec Bernard, mais aboutirent cependant à des appareils très différents, mais leur destin fut hélas très comparable !) .

L’essentiel du projet était bouclé à la fin de l’été 85...Le financement pas du tout, et ça commençait à devenir le point crucial car j’étais bien loin de la construction d’amateur : il me fallait faire réaliser un moule de coque et j’envisageais, pour faire plus vite, de sous traiter la construction des ailes, en même temps. Dans cette optique j’avais dû, quelques mois auparavant, faire une demande de subvention à l’ANVAR, organisme théoriquement chargé d’aider les inventeurs et créateurs de tous poils. Ces Messieurs les Ronds de Cuir eurent l’idée géniale, pour m’accorder une subvention misérable de 50.000 F, de m’imposer la création d’une S.A.R.L., avec tous les frais et contraintes que cela comportait ( j’y reviendrai !). Mais il me fallait bien en passer par là et Ô miracle, l’argent arriva à temps pour me permettre de lancer mes commandes principales : moule de coque puis coque prototype chez un artisan de Bandol ; ailes, tube de queue et jambes de train chez Alain PETIT, excellent camarade qui commençait à vivre de ses constructions aéronautiques (devenues plus tard ARPLAST , célèbre constructeur d’hélices).

Début 1986, je prenais livraison d’une sorte de kit sommaire, comprenant la coque prototype en trois morceaux, et commençais aussitôt son achèvement : mise en place des couples, des fixations d’ailes, de moteur, montage des commandes, etc...Quelques temps après je prenais livraison de ma commande chez A. PETIT et il me restait à achever ailes, empennages et mécanisme de relevage de train, ainsi qu’à monter le moteur . Il n’est pas de mon propos de faire ici la description de cet intense travail, réalisé entièrement durant mon temps libre car il fallait bien, aussi, "faire bouillir la marmite".

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L’Hydroplum en construction
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L’hydroplum

Mais en août de la même année, l’appareil sortait pour la première fois de l’atelier, en vue du premier montage intégral et des premiers essais de moteur (impossibles dans le susdit atelier) Le bébé pesait à l’époque 179 kg à vide, sans instruments, et je n’étais pas loin d’avoir tenu la masse légale !

Bien entendu, j’avais également réalisé la remorque, sans laquelle aucune sortie n’était possible. Et me voici donc accrochant pour la première fois l’appareil derrière ma voiture... Tandis que je traversais prudemment le village, je fus saisi d’un frisson d’horreur : averti par un bruit étrange , je vis dans mon rétroviseur la remorque, détachée, qui continuait tout droit dans le virage ; l’ensemble est allé s’écraser, pas bien vite heureusement, contre un angle de mur en pierre...J’avais eu de la chance, malgré tout, car ma remorque avait raté de peu la terrasse du bistrot où il y avait pas mal de monde ! Que s’était-il passé ? Sans doute la boule mobile de l’attelage Peugeot de série était-elle mal serrée (ou avait-elle été desserrée ?). Je ne le saurai jamais, mais le résultat était là : je ramassais tant bien que mal les morceaux sur ma remorque, avec l’aide de quelques passants obligeants, et ramenais le total à l’atelier : j’avais fait en tout 1 km , c’était déjà mon deuxième « accident de la route aéronautique » (mais pas le dernier) !

L’atteinte au moral, et même à l’amour-propre, était gravissime ! Il me fallut bien 24 h et les encouragements de mes proches et de mon copain Jojo, pour que je me décide à faire l’inventaire des dégâts...qui n’étaient finalement pas si graves que ça : une coque ouverte à l’avant, une aile bien abîmée, et des bricoles diverses. Le tout était réparé un mois plus tard, et je pouvais reprendre les essais là où je les avais laissés .

Le 12 octobre 1986 : première sortie en mer, à St Florent, que je connaissais maintenant si bien. Je constatais immédiatement une grande faiblesse du fond de coque (ah, cette économie de poids !) et n’insistais pas.

Le 1er novembre :deuxième sortie en mer, après renforcement du fond de coque. Cette fois, les choses sérieuses commencent et je suis bien décidé à faire mon premier vol. Par mesure de sécurité, j’ai complété mon gilet de sauvetage par une vedette remplie de copains...tant pis pour la discrétion, mais la sécurité y gagne, ainsi que les souvenirs car j’ai la chance d’avoir de ce grand moment d’excellentes photos et une vidéo acceptable, ce qui n’était pas évident, surtout à l’époque. Selon mon habitude et à l’inverse de certains pilotes d’essais professionnels de l’entre-deux-guerres qui auraient mis plein gaz tout de suite (1), je fais de longs parcours (ce n’est pas la place qui manque) en accélérant progressivement. Au bout d’un moment (j’oubliais de dire que la mer était d’huile, bien entendu !), je passe sur le redan et accélère encore...mais je ne suis plus un pilote débutant et l’appareil est arraché sans peine : un long palier pour tâter les commandes et vérifier que tout va bien, et cette fois ci c’est le fond du golfe qui se profile à l’horizon...encore un peu de gaz et j’entame une montée prudente à une vingtaine de m, puis un grand virage vers le large, suivi d’un autre qui me remet dans l’axe de la « piste » : ce n’est pas difficile quand il n’y en a pas ! Lente descente, puis kiss-landing impeccable, juste devant la caméra (qui bien entendu va le louper !).

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L’hydroplum dans la baie de Saint Florent (Corse)

1er vol dans la baie de St Florent Cf : Histoire des essais en vol - éditions DOCAVIA

Suivent 5 ou 6 vols, d’une durée totale de 30 minutes. Le succès est total , les réglages irréprochables dès le premier vol (bien entendu avec une gueuse dans le nez pour remplacer le passager) : on est bien loin des balbutiements de l’Hydroplum, et surtout que c’est pratique de savoir déjà piloter quand on essaye un nouvel avion ! Seule subsiste la faiblesse du fond de coque, qu’il faudra encore renforcer, et les nombreuses entrées d’eau, qu’il faudra compenser par une vidange à ouvrir en vol.

Les essais se poursuivront la semaine suivante, et cette fois j’essaye d’emmener mon copain Claude Gibert qui, comme je l’ai déjà dit, participait à tout, volait sur tout, mais était un peu lourd (95 kg) ! La tentative avorta rapidement car ma coque, bien que renforcée, commençait à céder et l’eau rentrait en abondance ; nous rentrons au port in-extremis , plein moteur pour ne pas couler !

Fin novembre, après nouveau renforcement du fond de coque, je fais un essai avec un sac de sable de 70 kg en place passager (et bien sûr sans la gueuse ...cette gueuse de plomb à mettre et à enlever me posera toujours quelques problèmes, jusqu’au jour où je décidais de m’en passer !) : le vol est sans problème, quasiment sans changement par rapport au vol en solo, avec une vitesse ascensionnelle de 5 m/s et un décollage en 80 m . Mais je n’emmène toujours pas de passager, et je sens que mon copain Claude bout d’impatience !

Le 25 janvier 1987, après avoir sérieusement amélioré le mécanisme de relevage du train, qui ne me servait jusqu’à présent que pour la mise à l’eau, j’amène l’appareil sur le terrain de Ghisonaccia, en vue d’un premier vol terrestre. Je fais 4 vols, d’une durée totale d’une heure environ, sans autre problème qu’un déverrouillage de la roue avant : mais cela est sans conséquence puisque l’hélice est derrière ! D’ailleurs, j’aurai par la suite encore bien des problèmes de déverrouillage, y compris du train principal, avant d’arriver à quelque chose de fiable : mais cela n’eut jamais de conséquence fâcheuse, hormis un fond de coque un peu râpé qui nécessitait quelques couches de fibre de verre en réparation. Bien sûr, le décollage est beaucoup plus rapide que sur l’eau (50 m environ), mais le roulage à l’atterrissage est important (environ 300 m) car il n’y a pas de freins : je m’en passe d’ailleurs très bien, sur cette piste de 800 m.

Le 9 février, toujours sur le même terrain, j’emmène mon premier passager, avec une joie et une fierté indicible, car il s’agit de mon Papa. Il me semble que cet honneur lui revenait de droit. Pour moi, emmener un passager a toujours été et sera toujours un problème, car c’est une grande responsabilité. Alors vous pensez, la première fois, et avec mon père par surcroît, ce fut une grande émotion (pour lui aussi d’ailleurs, mais j’ignore s’il a eu peur : en tout cas, il ne l’a pas laissé paraître !) Nous avons volé ¾ d’heure, et mon père a piloté presque tout le temps. Quelle joie d’avoir pu offrir ce plaisir à mon Papa, qui devait mourir juste un an après. ..Mais depuis quelque temps, je sentais confusément qu’il n’était pas éternel, et je me rapprochais d’autant plus de lui. J’ai maintenant 4 heures de vol sur l’Hydroplum II, et je considère que l’appareil est au point, pour l’essentiel.

Les vols et la mise au point se poursuivront sur la terre ferme tout le mois de mars, et j’emmenais un tas de gens, qui me faisaient confiance, ce dont je suis très honoré. J’emmenais même un enfant, à la demande de ses parents : mais là, je m’en veux car j’estime que c’est trop dangereux. A la fin du mois, j’emmène enfin Claude Gibert, sur l’eau, malgré ses 95 kg ; le décollage, par vent nul , est pénible, mais Claude est ravi !

Début mai, j’ai 10 heures de vol. J’essaye avec succès un trim électrique sur la profondeur : je commence à me prendre pour un pilote de BOEING (n’est-ce pas le rêve de la plupart des pilotes amateurs ? en tous cas, ce n’est pas le mien !). Je perfectionne ma technique de décollage en mer : en l’absence de vent et de vagues, avec un passager lourd, ce n’est pas évident et il faut bien dominer l’assiette sur le redan ; surtout, ne pas tirer trop tôt !

J’ai mis en place un système d’alarme qui sonne quand j’ai à la fois la gueuse et un passager (ou une passagère : il ne fait pas la différence, l’imbécile !), ou bien ni gueuse ni passager, ceci pour ne pas avoir de problèmes avec le centrage. En fait, j’ai tout essayé, involontairement bien sûr, sans aucun problème : mais deux précautions valent mieux qu’une, paraît-il ! (d’ailleurs ce système, constamment trempé dans l’eau salée, ne marchera pas longtemps : électricité et électronique n’ont jamais fait bon ménage avec l’eau salée !).

Le 11 juillet, il m’arrive une mésaventure qui mérite largement un exposé détaillé : je suis en l’air avec mon copain Pierre (ex pilote de chasse modèle 1944...une référence, quoi !), à la vitesse de croisière (110 km/h), et je règle le trim "au petit poil " pour avoir le manche au neutre ; et tout d’un coup, fortes vibrations du manche, ressenties par le passager également . Je coupe immédiatement les gaz et la vibration s’arrête, heureusement car ce phénomène maintenant bien connu se nomme FLUTTER, ou flottement des gouvernes, et a déjà tué des dizaines de personnes, surtout des pilotes d’essais entre les deux guerres. Pierre et moi nous regardons, sans rien dire (d’ailleurs, on ne s’entend guère dans l’Hydroplum II !), et surtout très contents d’être toujours vivants ; nous rentrons au terrain « sur la pointe des pieds », au ralenti et à 20 m d’altitude.

Pas de doute, ce flutter qui ne s’était jamais manifesté auparavant à cause de la traction constante sur le manche, c’est manifesté ce jour là quand le trim a mis le manche au neutre. Conclusion : même sur un appareil aussi lent, les masselottes d’équilibrage sont indispensables. Quand on pense qu’il a fallu attendre les années quarante pour que ce système se généralise sur les avions de chasse ! Il ne me reste plus qu’à mettre, moi aussi, du plomb sur mes gouvernes...voilà qui est bien rageant quand on vient de faire des trous dans le polystyrène expansé pour gagner des milligrammes !

Le 13 juillet, la modification est faite et, toujours avec Pierre qui ne se laisse pas impressionner, nous validons la méthode jusqu’à la V.N.E. (vitesse maximale autorisée...par moi même) de 140 km/h . Le résultat est si parfait, nous sommes si euphoriques...que nous oublions de sortir le train à l’atterrissage ! Je dis « nous » ? c’est qu’à la vérité, après cet exploit, nous nous sommes demandés qui, de nous deux , pilotait ; nous n’avons à ce jour, toujours pas la réponse. Bilan de l’opération : un trou dans le fond de coque, à reboucher d’urgence ; je vais finir par mettre un patin en acier, pour être tranquille !

Le 17 juillet : c’est un jour de gloire ! Je suis invité à venir sur l’île de Cavallo faire une démonstration au Prince Victor Emmanuel de SAVOIE (prétendant au trône d’Italie, sans grand espoir d’ailleurs !). J’y vais avec Pierre ; il y a pas mal de vent et je suis inquiet. Posé sur la piste de Cavallo après 40 minutes de vol, vent dans le nez. Je tords la fourche avant sur une pierre :ça commence bien ! Après avoir sommairement redressé la fourche, nous nous rendons chez le Prince qui nous reçoit aimablement . C’est Pierre, pilote beaucoup plus expérimenté que moi, qui fait voler le Prince qui fait bien son mètre quatre vingt dix, et surtout son jeune fils de 12 ou 13 ans, qui est ravi. Ils font des décollages sur une mer très formée et tout le monde est trempé mais content... Pendant ce temps, je tiens compagnie à la mère, qui est sûrement inquiète, et je la comprends. Nous sommes retenus à déjeuner, et rentrons tout de suite après car le vent force encore (heureusement, l’avion est sur la terre ferme !). Le Prince semble intéressé, mais ce n’est qu’un prototype qui n’est pas à vendre . Il promet de me rappeler...j’attends toujours son coup de fil ! ( par contre, deux ans après, il visitait le Salon du Bourget avec son fils, accompagné d’un journaliste de Point de Vue (sic). Il a tenu à se faire photographier devant l’appareil, et son fils dedans ...ce qui ne m’a rien rapporté, sinon un petit article et deux photos dans ce journal stupide !). Ce fut mon seul et unique rapport avec la JET SET, mieux, avec l’Aristocratie !

Fin juillet, l’Hydroplum II a 20 heures de vol et j’ai beaucoup appris ...

Le 1er août, je vole une heure avec Papa...ce sera son dernier vol ; quelques jours après, on découvrira son cancer et nous basculons dans le drame .

Fin août, je fais une petite modif du redan, qui me fait gagner 10 à 20 % de distance de décollage : la modif sera adoptée sur la série, bien qu’elle soit assez discutée par les spécialistes, notamment les Russes rencontrés au Bourget bien plus tard .

Début septembre, malgré mes soucis familiaux, l’avenir commercial de l’Hydroplum II semble prendre tournure : André WYDAUW arrive de Bretagne pour me rendre visite, et je lui fais essayer l’appareil à St Florent . Il est sûrement très convaincu puisque nous commençons à parler affaires ...Enfin !

Le 12 septembre, Daniel Robert-Bancharel vient essayer l’engin, mandé par A . WYDAUW dont il est l’ami. Daniel est une authentique « Vieille Tige », pilote chez CAUDRON puis pilote de guerre. C’est un homme charmant, avec qui je m’entends à merveille : quels bons moments nous avons passés ensemble, surtout qu’il a le sens de l’humour. En plus, il se déclare enchanté de l’avion, et le trouve sans défaut, ce qui venant de lui est le plus beau des compliments...je suis sur un petit nuage !

Le 20 septembre, j’essaye une nouvelle modif du fond de coque (redans longitudinaux cette fois) : le résultat est excellent et la distance de décollage nettement réduite ; la modif est également adoptée pour la série.

Le lendemain, dernier vol avec l’Hydroplum II en Corse, mais avec un passager de marque : il s’agit de mon fils Jérôme, que j’ose emmener pour la première fois, sachant que mon avion partira très bientôt pour la Bretagne. Le décollage, avec une forte houle résiduelle, se passe bien...Mais, sans doute ému de transporter mon fils, je fais le pire amerrissage de ma carrière, avec un énorme rebond sur une crête de vague ! Je ne suis pas fier.

Apres une petite révision, l’Hydroplum II part pour la Bretagne, sur sa remorque. Il a 24 heures 30 de vol .

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